mardi 17 septembre 2019

ICON Livigno Xtreme 2019


Photo  Umberto Armiraglio


ICON Livigno Xtreme  2019

EPILOGUE

Livigno, Italie, Samedi 31 Août 2019, 1 heure 30 du matin, seul dans la salle de bain de notre appart de location, je suis assis sur le sol du bac douche, et, malgré l'eau chaude qui me coule dessus depuis peut être un quart d'heure, j'ai du mal à me réchauffer. Attraper le flacon de gel douche va me demander un effort considérable, je suis totalement cuit, pourtant, je me sens maintenant incroyablement bien!

"je suis un ICON"




Pour garder les traces de ces souvenirs, il faut des mots, même si certains sentiments, émotions, impressions, si intenses pendant cette journée, sont juste indescriptibles!



Cette journée, ou plutôt celle d’hier, a été longue, elle a débuté il y a maintenant ….22h30 heures!

Vendredi 30 août, 3h00 du matin, l'heure à laquelle le réveil était réglé pour le démarrage d'une longue longue journée. Une journée préparée depuis des mois,  x fois répétée mentalement, c’est MAINTENANT, aujourd'hui, que se déroule la course, celle de l'ICON Xtreme Livigno 2019.

Pour ceux qui ne connaissent pas, l'ICON c'est une course jeune (quatrième édition cette année) qui fait partie maintenant du XTRI world tour. Le label regroupe un certain nombre de courses autour du même concept, un triathlon format Iron XXL mais proposant des courses à fort dénivelés dans des lieux où les conditions climatiques, l'altitude.... peuvent encore venir durcir la course.

Sous ce label, l'incontournable Norseman, le Celtman, le Swissman qui sont les trois précurseurs puis maintenant 9 autres courses en Slovaquie, Canada, Suède, Italie, Espagne, Patagonie, Isle of Man, Monténégro, Brésil. (ouf!)

Au programme de ce triathlon hors normes, une partie natation  de 3,8 km dans les eaux froides et sombres du Lago Del Gallo à 1800 mètres d'altitude, un parcours vélo de 199 km, cheminant à travers l’Italie et la Suisse, parcourant 5 cols dont 4 à plus de 2300 m, deux en Hors catégorie, avec notamment le fameux Stelvio (  2758 m) et ses 48 épingles, pas moins, dont l'ascension se déroule sur 27 km depuis Prato Allo Stelvio pour un dénivelé positif de 1900 m). Au total pour ce parcours vélo, un cumul d'un peu plus de 4700 m de dénivelé positif. (Strava)

Profil du parcours vélo, 199 km pour 4700m de D+
Le parcours pédestre lui, partira du petit village de Trepalle,  éloigné de quelques kilomètres de Livigno, passant le long du lac, puis allant chercher le fond de la vallée de Livigno pour revenir dans le village et ses rues piétonnes et finir par une montée raide   d'une dizaine de kilomètres pour 1200 m de dénivelé positif, qui permettra de rejoindre le terminus de la remontée mécanique nommée «Carosello 3000 ». 
Cette partie course à pied distance marathon cumule un peu plus de 1600 mètres de dénivelé positif. Le total kilométrique pour cette journée de courses et de 244 kilomètres et 6200 m de dénivelé positif.
Profil parcours course à pied, 42 km pour 1600 m  de D+
Sur le papier c'est une épreuve qui fait peur et le film de la course des années précédentes n’y est pas pour rien (à voir ici https://www.facebook.com/iconxtreme/videos/690980471259438/). On y voit, outre des paysages aussi sublimes qu’austères et difficiles, les conditions météos dantesques alors rencontrées. Les prétendants sont prévenus, l'ICON ne fera aucun cadeau. 







C'est donc avec beaucoup d'humilité mais aussi beaucoup de détermination que j'aborde cette course, préparé physiquement  et mentalement à combattre les éléments pour arriver, sans autre performance que celle d'aller au bout. Qu’on se le dise, le but pour moi sera ici non pas d'aller chercher un classement mais simplement de rejoindre Carosello 3000.


Pour finir de planter le décor, un des maillons de cette course, c’est le fait qu’elle se déroule avec assistance pour le coureur. Il devra pouvoir présenter un “support team” obligatoire sur toute la partie vélo et sur les 12 derniers kilomètres de la partie course à pied. Tout cela bien cadré par un règlement strict de sécurité et de choses autorisées ou pas! Ma support team, se sera Ursula et Max, à fond dans la bataille! Feu!

AVANT LA COURSE

Les vacances ont permis de finir l'affûtage, idéalement, depuis la Bavière, permettant une acclimatation progressive, fuyant les canicules Montpelliéraines pour se rendre vers des températures plus fraîches et des altitudes plus importantes. Au programme, ces moments offerts à jouir des instants en famille, entouré de Bärbel, Harald (mes beaux parents) Ursula et Max dans des endroits très très chouettes, enquillant avec délice randonnées en montagne, cueillette des champignons, tours de vélo dans les montagnes, natation en lacs, courses à pied en forêt…...que du bonheur!
Une semaine avant la course, on quittait la Bavière pour se rapprocher en étapes du lieu de course, passant par l’Autriche, la Suisse...pour finir à Livigno deux jours avant le départ.Là aussi, tours de vélo en montagne, grandes randonnées en montagne, on s’acclimate de mieux en mieux, franchissant à plusieurs reprises les 2800m d’altitude.

Pour la toute première fois, nous avions booké un appartement pour la nuit précédant la course et celle qui suivra, redoutant des conditions météos compliquées (températures basses, pluie) pour préparer sereinement toute la logistique de course de manière plus simple que sur un camping, sans murs et sans toiture.
L’appartement se situe logistiquement au pied des remontées du Carosello, point d’arrivée de la course et à deux pas de la Plaza Placheda où se situent le retrait des dossards, le briefing, la T3 durant la course, la pasta party d’après course.

Avant veille de la course, passage par le camping du bout Nord de la vallée et un petit tour par le lac pour prendre quelques repères et aller “tester” l’eau, changement sur la plage, il ne fait pas franchement beau ni franchement chaud mais je me dis qu’après demain se sera encore plus rude et qu’un petit échantillon test ne me fera pas de mal.


Photo Ursula Perrier

En route pour la bouée                                                           Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier
Sur la plage, deux gars affichent fièrement leur tee shirt Norseman black finisher, l’un met sa montre dans l’eau pour avoir la température, dans 10 cm d’eau elle affiche un bon 15°C, hé-hé me dis-je c’est pas si froid. Je mets quand même les gants, les chaussons, la cagoule, me disant qu’il faut bien s’y habituer. Plouf, quelques mouvements, Mama, à peine fait 20 m que la température change vraiment, on est dans du très froid! Barre au visage, je sors même la tête de l’eau tant la surprise est forte. Je me dis que je vais caper sur une bouée en place et en faire le tour…..en résumé, 1000 m en aller-retour et des sensations toutes pourries pour une allure correcte mais vraiment pas sur ce que je fais de mieux. A la sortie, des curieux (coureurs) viennent demander mon impression.
Come è l'acqua, calda o fredda?”. Fredda, molto fredda, non d’un chien, après demain, je vais mourir, me dis-je tout bas, comptant sur l’adrénaline de la course pour passer outre, mais une heure ou plus dans ce cocktail glacé, ça risque de coûter cher en mental et en calories.


La veille de la course, journée bien remplie, check-in de l’appart, courses pour le lendemain, retrait des dossards avec un premier check-up du matériel obligatoire, très strict, la veste de pluie doit pouvoir justifier d’une imperméabilité de 20000 mm et une respirabilité de 15,000 mvp , sous peine d’être refusée. On défile ainsi sur plusieurs postes qui vérifiera chacun des éléments à présenter avec une liste et des cases à cocher…..pour ma part, je pêche sur le sous vêtement technique et doit repasser avant le briefing avec le bon vêtement, sinon, pas de case cochée = pas de départ!

Suit le briefing avec la projection du film de la course de l'année passé, séquence émotion!
on est ensuite invités à venir signer le panneau de la course, mon dessin annonce la couleur, devenir
"un ICON", peut être?
Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier
Le reste du temps, pas mal de mises au point entre ma support team et moi pour savoir ce qu’ils vont
embarquer, où se feront les premiers ravitaillements, carte à l’appui et temps de passages donnés,
estimés avec le tracé GPX de coureurs des années d’avant que j’ai retrouvé sur Strava. Ca permettra
avec les heures de passage de pouvoir savoir si on s’est loupés ou si quelque chose ne va pas.

Points de reglementation et checkup des points de passages de la course pour la support team.
Je confectionne des sacs de couleurs différentes, vert pour la T1 (les affaires que mon support doit m’amener en sortie de l’eau pour partie en vélo), le rouge Bearman pour les shoes + chaussettes de vélo, Tri de Marseille pour la T2 (affaires de cap, matériel obligatoire, frontale, nourriture, eau) et sac bleu Laurent Vidal pour la T3 (passage obligatoire avant les derniers 12 km, là, un des support team à l’obligation de m’accompagner et un checkup santé et celui du nouveau matériel obligatoire pour cette dernière partie de course sera effectué). De son côté, la Support team doit aussi préparer sa journée, la logistique se complique, rien ne va plus!

LA COURSE

Vendredi 30 Août, 4h00 du matin, après un lever à 3h00, gros petit dej. et derniers préparatifs, dans la noirceur de la nuit, le Trafic bleu se dirige vers l’aire de départ, direction la pointe Sud du Lago del Gallo, 5 kilomètres à parcourir pour rejoindre le parking du complexe Aquagranda, situé à 200 m de l’aire de transition, le local éclairé et chauffé permettra à tous les coureurs + team + orga etc…. de profiter de ces dernier instants de confort pour se changer. La température extérieure est d'environ 4°C, autant dire que pour enfiler la combi. on est mieux dedans.

Photo Ursula Perrier

Photo Max Perrier


Derniers échanges avec Ursula et Max, la tension est partout palpable, les visage se referment et l’émotion rempli tout. L’ICON, c’est maintenant! (merci François)

Bas de la combi enfilé, on se dirige vers l’extérieur, dans un noir absolu, on parcourt les 200 m qui nous séparent de la T1. J’ironise sur les toiles de Soulages, ayant l’impression de m’y mouvoir, comme englué dans cette noirceur froide. Peu à peu, d’un silence absolu, le bruissement mué par l'effervescence de la zone de T1 nous parvient, d’abord très doucement puis s’intensifiant à chaque pas. La lumière se fait aussi plus présente. Le son d’un groupe électrogène fini par recouvrir l’ensemble. Il alimente des spots énormes placés au sommet de la grande échelle qu’un camion de pompiers à déployé pour l’occasion.

Photo ICON Livigno
4h30, Assis sur le banc mis à disposition des coureurs sous les tentes plantées là pour donner un peu plus de confort aux coureurs sur ces transitions, je finis d’enfiler ma combi.. J’ai enfilé sous la combi. un sous vêtement technique avec capuche, celui dont je me sers habituellement en vélo pour l’hiver, fin et chaud, il ne devrait pas trop me gêner pour nager.
J’enfile maintenant les gants, les chaussons,bouchons dans les oreilles, au tour de la cagoule néoprène (obligatoire)...j’ai l’impression de ne plus en finir avec ces préparatifs, couches sur couches…... il reste à gonfler la bouée transparente après y avoir cassé deux bâtons lumineux de sécurité  fournis par l’organisation pour ne pas nous perdre! Ursula est aux petits soins et m’aide dans tous les gestes de cette longue préparation.

Nico, joueur de biniou lumineux?                                                            Photo Ursula Perrier

4h55, enfin prêt, on se dirige vers l’extérieur. Des braseros géants y sont allumés, ils illuminent la scène, les flammes dansent et font danser les ombres autour, les gens s'y regroupent pour se réchauffer.

Photo Diego de GIORGI
La température vraiment fraîche!                                                               Photo Diego de GIORGI


Photo ICON Livigno

Je me rapproche de l’un d’eux, à travers la combi., ça chauffe grave. La lueur qu’ils génèrent est réconfortante et en contraste absolu avec l’eau du lac.

Parlons en. Le halo généré par les spots du camion de pompiers l'éclaire sur un rayon de quelques centaines de mètres et la vision est surréaliste. L’eau d’un vert très sombre est recouverte de panaches de fumé qui viennent entourer les canots déjà posés sur l’eau pour assurer la sécurité des nageurs. De ce vert très sombre, on passe sur un dégradé rapide à un noir absolu, celui dans lequel se déroulera cette partie natatoire. Gloups!

Photo ICON Livigno
Je me pose là quelques instants, hagard,  mais je n’ai pas vraiment le temps d’en profiter, un membre du staff vient me presser me demandant de rejoindre la T1 pour rester derrière la ligne de comptage de puce et attendre le signal pour se rapprocher enfin de l’eau. Un bisous à Ursula et Max avant de rejoindre les autres coureurs.

Ambiance surréaliste sur la plan d'eau, quelques instants avant le départ.                                         Photo ICON Livigno

5h05, je suis l'un des derniers à rejoindre le groupe, derrière l'arche de sortie du parc de transition T1. Je me place en première ligne pour attendre le "lâcher" des coureurs vers la berge du lac. C'est un moment de recueillement, tout le monde sait que maintenant, c'est vraiment parti. Les visages se font de plus en plus tendus. Le silence chez les coureurs est maintenant de mise, le crépitement des braseros et quelques encouragements des supports team et du staff fusent ça et là.


 Photo Umberto AMIRAGLIO


Une grande respiration, je fixe le ciel, la tête est vide...... profiter de ces derniers moments de calme                                Photo Umberto AMIRAGLIO

5h10, enfin on rejoint la berge. Le peloton de pingouins que nous sommes se dirige en silence vers les eaux noires du lac. Là encore, la tension est palpable. Les hauts parleurs diffusent la musique du film de l’épreuve, maintenant légende, où corne de brume et son des tams tams viennent parfaire cette ambiance de fin du monde. Peu d’éclats sur les visages, on sait que la journée sera longue et beaucoup redoutent cette partie natatoire….Moi qui d’habitude profite de cette première partie pour rentrer en douceur dans la course et vraiment en profiter, je me retrouve à douter de mes capacités à pouvoir surmonter ce premier obstacle….
Le petit groupe se rapproche de l’eau, certains y entrent timidement jusqu’aux genoux, pour ma part, je me dis que plus tard j’y rentrerai, moins long en sera la sanction et reste un peu en retrait sur la plage, coté gauche, ça me paraît être une bonne option pour éviter la cohue du départ.

Le signal est donné, on quitte le parc de transition pour la berge du lac.                                      Photo ICON Livigno

Photo ICON Livigno

Photo ICON Livigno
Dialogue de pingouins: "tu la vois toi la bouée?" "Nan, et toi?" "PLOUF....."                        Photo Umberto AMIRAGLIO

Un coup d’oeil sur la montre, quelques mouvements de bras, il faut pourtant que je me décide à avancer dans cette eau glacée. L’heure du départ approche à grands pas. Allez, du nerf!

5h15, La corne de brume sonne fort le départ de cette édition 2019 de l’ICON, c’est le moment de plonger dans l’eau. Peu s’y précipitent. Cette fois, c'est bien parti!


Parti!                        Photo Umberto AMIRAGLIO

Photo ICON Livigno
Comme l’avant veille, mon visage est vite pris en tenaille, avec les premiers mouvements l’eau qui rentre doucement dans la combi. par le cou, me parcourt d’abord le dos, puis le ventre, j’ai l’impression que tout mon corps n’est qu’une immense chair de poules!
Passé ce premier ressenti, on peu dire que ça a le mérite de mettre les idées à l'endroit. J’essaie de poser une natation calme sans être relâchée mais n’y parviens pas vraiment, déjà crispé par le froid. Pas de bousculade, pas de coups, la natation est quand même assez propre, on ne se gêne pas. Les lueurs de la rive et de la T1 s’estompent doucement au grès d’une natation raide qui me dirige chaque mètre un peu plus dans cette infinie noirceur. J’essaie de rester calme, car, contrairement à d’habitude, cette obscurité quasi-totale, cumulée avec le froid de la flotte, me stresse. Je focalise sur des pensées positives. Le “j’y suis” , le “en profiter au maximum”, le “t’as voulu y être, maintenant arrête de gémir”....fonctionnent à merveille. Bientôt, même si refusant ce froid qui veut me croquer je nage comme une vieille planche, je me rends tout à coup compte que “Je suis acteur” de cet ICON! J’y suis (!) et je retrouve le sourire, m’extasiant de ce noir infini, réussissant à me détacher peu à peu de ces impressions négatives, me posant la question de la profondeur du lac à cet endroit (en fait pas très profond, 119 m au point le plus bas) ou éberlué par les étoiles que je distingue très nettement malgré les lunettes de natation….un truc que par contre je ne distingue pas, c’est la bouée du demi-tour. Je vois bien quelques points rouges des bouées de sécurité d’autres nageurs très espacés par ci par là , comme une poignée de bélugues jetées au hasard sur ce grand tapis noir, tout semble comme en apesanteur. Pas de masse de nageurs en effet, tout le monde s’est dispersé très rapidement, on est comme égarés.

Photo ICON Livigno
À plusieurs reprises donc, je relève la tête et tente de regarder fixement devant moi si j'aperçois une des bouées  censées marquer le cheminement vers la bouée du demi-tour, mais en vain. je n'arrive pas à discerner suffisamment les quelques points lumineux situés plus loin pour savoir si il s'agit des frontales des mecs sur les canoës ou du marquage des bouées.

Le temps passe, pourtant, autour de moi rien ne semble véritablement bouger,  et pour cause, tout est tellement sombre. Ainsi hormis les lumières éloignées du tunnel en rive Est du lac, aucun point fixe suffisamment proche me permet de mesurer mon déplacement. Dans ces conditions il est difficile de ne pas trouver le temps long, d'autant que le froid de l'eau que par moment j'arrive à oublier fini inexorablement par me transpercer. 

Pour la deuxième fois depuis le départ ma montre s'allume et vibre marquant le deuxième km de natation. Par miracle la première bouée de demi-tour est là juste devant moi. Je la frôle pour rejoindre en obliquant à gauche la 2e, quelques dizaines de mètres plus loin et exécuter le vrai demi-tour. Mentalement le mouvement est très positif, je tourne maintenant le dos à la noirceur pour faire face aux lueurs bien présentes sur la rive à deux kilomètres de moi. Les coups d'œil jetés à gauche et à droite me permettent de voir toujours de façon aussi éparse quelques lucioles rouges qui maintenant convergent aussi dans la même direction comme des papillons de nuit happés par la lumière lointaine sur la rive Sud du lac. D'un halo trouble au départ, je distingue petit à petit les spots  puissants du camion de pompier tout là-haut au bout de l'échelle et en bas contre l'eau, la lueur lancinante des braseros. Une odeur de fumée parvient même jusqu'à mes narines et à défaut de me réchauffer le corps, elle provoque une montée d'adrénaline très bénéfique. 

Ma montre vibre et s'illumine une troisième fois, plus que 1000 m  à parcourir. Le jour se lève doucement, le halo de l'aube apparaît mais bizarrement donne une impression encore plus importante de froid. L'eau est très lisse je me concentre maintenant sur ma natation ignorant ma place dans un classement que de toute façon  je m'acharnerai à mettre entre parenthèses pour ne pas risquer de me griller trop rapidement et compromettre mes chances de finir cette journée en top finisher au sommet du Carosello 3000. 


 Photo Umberto AMIRAGLIO
 Photo Umberto AMIRAGLIO
 Photo Umberto AMIRAGLIO

Regardant en avant, malgré le petit nuage de brume qui plane au dessus de l'eau, je distingue maintenant clairement le tapis de sortie de l'eau maculé de orange fluo, celui des t-shirts des support team,  agglutinés le long de ce cheminement raide qui sépare la sortie de l'eau de la tente de la transition 1. J'entends maintenant les sons qui, de la terre, viennent jusqu'à moi. J'ai sacrément froid, mais cette première partie natatoire est en train de se terminer. J'entends aussi la cloche d'Ursula qui tinte de plus en plus clairement et de plus en plus fort, le sol du fond du lac apparaît rapidement, plus que quelques mètres........


Photo Diego De Giorgi

Je me redresse, mes pieds touchent le sol, les lunettes poussées sur le front, je me retourne vers le lac, crie ma rage, comme pour lui dire "tu ne m'as pas eu! ".


Photo Diego De Giorgi
Les support team attendent leur coureur.                                Photo Diego De Giorgi

Je ne cours pas, c'est une véritable haie d'honneur qui se crée sur cette sortie de l'eau formée par l'ensemble des support team, de membres du staff dont fusent les encouragements. C’est beau de revenir sur la terre ferme! J'aurai passé 1h07 dans l'eau, c'est pas ma meilleure natation, mais vu les conditions, je crois que je peux m'estimer pas trop malheureux.

Saisie de vidéo de Max!
6h22, Ursula est sur la droite, elle m’accompagne dans la tente pour m’aider sur cette transition 01. Elle a le sac vert avec mes affaires de cyclisme…..et le sac rouge que j’avais oublié (ouille, MERCI!) avec mes chaussures + chaussettes de vélo.
On trouve une place proche de la sortie, un banc. Je tremble de tous mes membres, le froid m’a vraiment transpercé. Mes mains sont totalement engourdies, impossible de défaire le bracelet de ma montre, très compliqué d’enlever les chaussons et les gants et pour le reste, tout est compliqué tellement je suis gelé. 
J'ai le visage crispé, la mâchoire qui claque, j'ai du mal à parler. Tant bien que mal, on réussi à enlever tout ça. J’avais mis un maillot de bain et un sous vêtement technique sous la combinaison pour partir complètement changé le plus sec possible après cette natation, manque de pot, j’ai oublié de glisser une serviette dans les sacs et enfile ma trifonction en hâte mais encore bien mouillé. Après, une paire de jambières pour le bas avec chaussettes et sur chaussures puis une veste manches longues pour le haut, le sous casque néoprène doublé, des gants.
Le tracker GPS est bien calé au fond de ma poche dorsale, coincé sous ma veste coupe vent.



Tout cela dure une éternité! J’arrive enfin à terminer d’enfiler tout ça, boit cul sec deux verres de thé chaud bien sucré, glisse dans mes poches une compote et une pâte d'amandes et, pour la première fois depuis que je fais du triathlon, cours (c’est un grand mot) chaussures aux pieds (sic!) vers mon vélo accroché dehors pour mettre mon casque et enfiler la ceinture dossard et….porte passeport. Il est en effet obligatoire d’avoir son passeport avec soi, le parcours franchissant à plusieurs reprises les frontières de l’Italie et de la Suisse. Le casque s’enfile difficilement avec les gants et la molette arrière c’est prise dans le sous casque en néoprène, mama, cette transition, c’est du gros n’importe quoi. Mais n’en tenons pas compte, le classement, on s’en tamponne! Max est en dehors du parc et nous encourage.
Avant de passer la ligne magnétique pour le "bip" de la puce de la cheville, on me rappelle d’allumer mes lampes avant et arrière, obligatoire sur toute la durée de la course vélo.

Je peux enfin quitter le parc, enjamber le vélo et vite, partir pour me réchauffer.
Les premiers kilomètres sont en faut plat montant, le jour se lève doucement mais l’air est glacial. L’ombre de la vallée enveloppe encore tout, les lampadaires de Livigno éclairent cette traversée de village, direction le premier col, le Forc di Livigno, à 2315 m d’altitude puis juste après une descente raide et courte, une remontée vers le Bernina à 2329 m. Le rythme est bon, les sensations ok, sauf que je me gèle vraiment, je ne sens pas mes pieds et j’ai le ventre glacé. Un détail aussi, qui n’en est pas un, j’ai un mal au bide et une envie de pause technique très présents et ça me gène vraiment. Je me dis que quand je serai réchauffé, je ferai cette pause pour lâcher un peu de lest et pouvoir dérouler plus confortablement le reste de ce parcours vélo.

Photo Ursula Perrier
Je passe les dernières habitations de la vallée de Livigno, direction plein Sud, le soleil commence à éclairer les sommets, aucun bruit, la route devant se relève petit à petit, les jambes vont bien et j’ai le sourire, s’élargissant au fur et à mesure que mon corps commence aussi à se réchauffer. On est bien là, non?
Le profil du premier col " Forcola di Livigno"
Le profil du second col le "Bernina"

Photo Samuel Confortola
Depuis le Forcola dI Livigno                                 Photo ICON Livigno



On a convenu avec Ursula et Max qu’on ferai un premier checkpoint juste au col de Bernina pour un ravitaillement rapide. Le premier col est vite grimpé, la descente derrière est rapide et le paysage de plus en plus beau.
Dans la descente du col "del Forc di Livigno"                                                      Photo ICON Livigno

L’immensité de la vue qui se profile au Sud me fait carrément oublier la montée du col Bernina ou j’arrive presque surpris m’entendant dire à voix haute “déjà!?”. Cette mise en bouche s’effectue véritablement assez rapidement, les 23 km pour 800 m de D+ seront effectués sans difficulté en 1h15, exactement ce que j’avais sur mon roadbook.
En arrivant au Col de Bernina                                   Photo Max Perrier


Comme prévu, Ursula et Max se trouvent un peu plus loin sur la droite, hayon arrière ouvert, buffet à volonté! Ils ont préparé une soupe chaude, étalé des sandwiches, des Tucs, de l’eau et du Coca…..une soupe chaude, ça c’est top, puis une gorgée d’eau, on échange quelques mots pour définir la prochaine rencontre, j’enfile la veste coupe vent et je repars.


Les glaciers de la Bernina en toile de fond, les prochains 50 km sont sur un profil de descentes et de replats pour revenir à l’altitude de 1400 m à Zernez en Suisse, 900 m plus bas. Il fait grand beau, la température est fraîche mais pas désagréable.
Au col de Bernina                                                          Photo Max Perrier
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Ursula et Max me doublent, fenêtres ouvertes, clochette à fond, c’est bon de les voir.
Le cheminement est rapide sur cette partie de parcours. La traversé du premier village, Pontressima, se fait avec une pause obligatoire, scotché par le feu rouge d’un chantier qui, si il devait être franchi, entraînerait la disqualification du coureur. Je patiente donc sagement, en attendant qu’il passe au clignotant. J’en profite pour avaler une pâte d'amandes et boire un coup. Un peu plus loin, le rond point de bifurcation vers la droite, rejoignant la route de Saint Moritz et des hôtels huppés! Là, un brouillard épais est présent et embrasse toute la vallée. Le paysage est là encore surréaliste, les rayons du soleil perçant ça et là rendent une ambiance vraiment spéciale.
Le brouillard dans la vallée allant de Saint Moritz à Zernez                                      Photo Ursula Perrier
Le brouillard dans la vallée allant de Saint Moritz à Zernez                                      Photo Ursula Perrier
Ursula et Max me doublent, fenêtres ouverte, clochette à fond, c’est bon de les voir.
Quelques coureurs font la course à vitesse similaire et on se croise au gré des pauses de l’un ou de l’autre. La lumière clignotante arrière marque dans le brouillard un halo rougeâtre, et, même si l’ordre du jour est de ne pas se lâcher en vélo, je conserve ces ponctuations en ligne de mire, ça me permet de garder tout de même un certain rythme et me maintient dans une bonne dynamique.
La traversée de petits villages, en  sortie de la route principale permet de faire quelques centaines de mètres sur des bon pavés, bien casse gueule….mon compteur vélo en fera les frais, son attache cassée au passage de ces partie très “vibrantes”. 
 Photo Ursula Perrier

 Photo Ursula Perrier

 Photo Ursula Perrier
Ursula et Max, sont arrêtés quelques centaines de mètres plus loin, j’en profite pour leur donner mon compteur cassé et croquer un bout de banane sans vraiment m’arrêter, on se dit “À Zernez, Parking P1” repéré la semaine d’avant, à l’attaque du troisième col, le Passo del Fuorn, reconnu lui aussi la semaine d’avant, qui s’étire sur 20 km en deux bosses pour un cumul de 650 m de D+.
Km 72, Parking P1, 2h25 de vélo pauses incluses, 29km/h de moyenne sur ce premier tronçon, tout baigne!
La pause technique tant attendue est là, de vraies toilettes s’il vous plaît….mince, le coté hommes est occupé, allons côté femmes.
Passage par le hayon et buffet à volonté d’Ursula et Max, le food truck de la montagne!


Le camion bleu "food truck de la montagne"                                          photo Ursula Perrier.

Encore un verre de soupe, je mords aussi dans un jambon beurre excellent et un bout de banane pour la route. 
J’en profite aussi pour quitter la veste manches longues et les jambières et prendre une veste manches courtes, ne pas oublier le tracker GPS et la coupe vent. Prochaine pose au sommet du col.
Là aussi, les pentes douces ne tirent pas trop sur les cannes, même si malgré tout, les kilomètres roulants les ont finalement pas mal sollicitées, mais globalement, la forme est bien là. La route est belle, très peu de circulation, en dehors des quelques voitures de support team d’autres coureurs évoluant à vitesse similaire de la mienne.
Km 92, 3h50 de vélo, 1700 m de D+ cumulés jusque là, le col, je suis à quelques minutes près sur le plan de course, sans forcer, c’est comme ça que je l’imaginais et ça fonctionne parfaitement.


Col "Dal Fuorn" quelques jours avant la course.                                            Photo Nico.


Le profil "Dal Fuorn"

Comme pour les autres pauses, l’habitude s’installe, une bouchée de "ci", un verre de "ça", quelques mots et ça repart. On convient chaque fois des endroits d’arrêts et de ce que je souhaiterais pour m’alimenter ou m’habiller, c’est très confortable et rassurant pour le reste de la course. Les calories cramées sont tout de suite ré approvisionnées pour les heures qui viendront par des sucres lents et rapides. Aucun moment de “mou”.

Encore une partie roulante, majoritairement descendante entre le col dal Fuorn et le pied du Stelvio situé à 900 m d’altitude.
Ca s’enroule bien, même si la partie en fond de vallée se fait face au vent assez soutenu. Mais là, inutile d’appuyer plus que de raison, et pour cause, le Stelvio pointe son nez et l’attaquer le plus frais possible est une évidence.

En quelque chiffres, un déroulé de 24 km pour 1900 m de D+, une pente moyenne de 7.5% et ses 48 virages en épingle qui font de lui une légende. On l’attaque au km 130 de la course.
Vidéo de la présentation du col: ICI https://www.rideapart.com/articles/313978/watch-this-and-plan-to-rent-a-motorcycle-in-italy/
Le profil du Stelvio

KM 125, 4h42 de course, une moyenne de 26,5 km/h, les voyants toujours au vert!

Juste avant la bifurcation, pause ravito….du sucré, eau gazeuse, coca, pâte d'amandes et banane. Bien ravigoté, l’attaque est souple, les paysages, une fois de plus splendides, le torrent énorme sur le côté de la route, la fraîcheur et, étonnamment, peu de circulation. Tout baigne!


Ursula aux commandes de la bat mobile                                           Photo Max la menace

Les premiers kilomètres s’enchaînent bien, dans la forêt. La pente est régulière et je monte en fréquence, sans forcer, toujours à l’économie. Certains coureurs passent devant, je les refais quelques Km plus loin, on échange quelques mots, l’ambiance est bonne enfant, à part le belge à moustache qui ne décroche pas un mot. On a aussi l’espagnol, les Italiens, et tout le monde s’encourage dans ce morceau de choix, on sait qu’on se rapproche quand même de la fin des hostilités et le moral, et les jambes, sont ok.
Quelques ravitos à l’arrachée pour saisir un bidon d’eau pétillante ou une bouteille de Coca, Ursula et Max font un travail énorme pour me faciliter la tâche, et en dehors de douleurs brûlantes sur le haut des épaules, je vais bien.


Ravito de pro.                                           Photo Ursula Perrier.

Ravito de pro.                                           Photo Ursula Perrier.
Sortie de la forêt, le milieu du parcours, encore 13 kilomètres “13 km to go” est marqué au sol en peinture bleue! Allez, c'est pas si dur que ça! Je loue l’étincelle de conscience qui m’a fait installer un 12/32 sur le vélo deux semaines avant la course, ça permet de rester assis tout le long et de passer en douceur, même si la vitesse de course s’en trouve bien sûr pénalisée, ça monte sans se poser de questions.


Photo Umberto AMIRAGLIO
En face, la montagne, énorme et magnifique!                                     Photo Umberto AMIRAGLIO

Une douleur commence par contre à se faire ressentir au niveau du tendon d’Achille au pied droit, c'est gênant quand, malgré tout, je souhaite relancer un peu et donner de la danseuse, ça coince et ça fait mal! Merdouille, me dis-je, espérons que ça passe avant la partie course à pied.


Dans le Stelvio                                          Photo Max Perrier
Dans Stelvio , Max à bord de la Bat Mobile en support team de choc.                     Photo Max Perrier

Il reste 15 virages en épingle, c’est l’euphorie totale, le dernier morceau de route semble de loin s’élever à la verticale, les glaciers sur la gauche, un petit lac, tout ça est fabuleux, je me dis que j’ai une chance de malade d’être là et que cette journée de course est juste ANORMALE! Même la météo est avec nous!


Vertigineux Stelvio                                                               Photo Ursula Perrier.
Vertigineux Stelvio                                                        Photo Ursula Perrier

Aujourd’hui, une semaine après la course, la webcam du Stelvio montre grise mine, neige et brouillard…..là, ça n’aurait pas été la même! Je pense aux éditions de 2016 et 2017, réalisées avec des conditions météo de débile. Je m’y suis pourtant préparé depuis des mois, allant rouler et courant sous la pluie, me disant chaque fois, “comme ça, tu t’y habitues”. Mais aujourd’hui, il fait grand beau, pas de vent, c’est le bonheur!

Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier

Encore quelques lacets, quand je regarde à droite….j’ai le vertige (!) et regagne le milieu de route, me sentant un peu ridicule, mais je suis le seul à savoir ça!


Photo Ursula Perrier

Photo Ursula Perrier

Ursula et Max sont encore là, et en passant, je leur dit que la pause sera au sommet. La montée du col se sera faite sans arrêt, tant mieux. Je repense à mes somnolences sur le dernier Stonebrixiaman dans le Gavia ou l’an dernier sur le parcours vélo de l’Alpsman sur lequel je m’étais clairement ennuyé et n’avais éprouvé aucun plaisir. Ici, tout est différent, la course, presque abordée comme une longue randonnée, traversant des paysage aux échelles démultipliées procure beaucoup de joie et réussir à s'y mouvoir de la sorte est une belle satisfaction.
Les teams des autres coureurs sont aussi là pour encourager, peu importe qui, tous les coureurs sont poussés par des "Grandé" italiens, des "Aya" norvégiens, des "Allé" français.

Le fait d’avoir Ursula et Max à mes cotés contribue sans doute aussi à encore un peu plus ajouter à la beauté des ces moment privilégiés. C’est chouette!

Km 154, on cumule maintenant 3700 m de dénivelé positif sur ce qui à été réalisé de ce parcours vélo. Arrivée au col, il est 13 h 45 toujours sur les temps de passage estimés.
Là haut, c’est pas terrible, on se croirait un peu à Disneyland, du bof partout, ventripotent, sortant de sa voiture pour une bière, une frite, une clop et un selfie puis repartir.
Tellement de monde que j’ai du mal à trouver le local mis à disposition des coureurs de l’ICON pour l’unique ravitaillement officiel de cette partie vélo. Je boite un peu, rouillé par 7h15 de vélo (sic!) Tiens, mon tendon d'Achille s'est débloqué, un claquement sec s'est fait entendre et la douleur a disparu d'un seul coup. Top!


Photo Ursula Perrier

Un sandwich au jambon un peu sec, un verre de Coca, je m’assois pour profiter un peu d’Ursula et Max et savourer une minute de repos avant d’aborder les derniers 46 km de ce parcours dantesque. Le dénivelé restant est de 1000 m.
Veste coupe vent enfilée, il fait frais à 2758 m! Là encore, je jouis de mon acclimatation des semaines précédentes, aucun ressenti dû à l’altitude dans les montées, je suis bien.

La descente est raide, au départ en lacets serrés, on arrive sur une longue ligne droite, et là, à pleine vitesse, mon vélo se met à guidonner. Nom d’un chien, ce vélo à pourtant plusieurs années de service et nombre de cols déjà descendus, qu’est ce qui se passe. Freinant progressivement, le mouvement s'atténue, je suis sur le bord droit de la route arrêté, hagard, me demandant pourquoi ça guidonne maintenant. J’avais déjà eu ça semaine dernière…..peut être trop crispé sur le bike, peut être la tension au niveau du jeux de direction...quoi qu’il en soit, une belle frayeur et une perte de confiance pour le reste de cette descente que je ferai en serrant les fesses.

Km 173, Bormio, marquant l’attaque de ce dernier col, le col de Foscagno (2291 m) qui se déroule sur 24 km. Sans avoir une pente moyenne importante (4.4%), dû aux 10 premiers kilomètres peu pentus,  il marque certains passage avec des pourcentages plus élevés à 7%, 8%, 9%, 10%....les 14 dernier km sont classés hors catégorie et à ce moment là de la course, faut y aller mollo.


Profil du "Foscagno"

Je regarde ma montre, "outch", déjà 8h30 de bike, mince, à Embrun j'ais posé le vélo depuis un peu plus d'une heure (!), mais en fait, je n’ai pas vu passer le temps. Mentalement, on se prépare à affronter le marathon qui va suivre. La température augmente pas mal et je n’ai plus d’eau dans mon bidon. On s’est dit avec Ursula que ça ne servirait à rien d’avoir une pause de plus sur ce dernier col….mal m’en a pris!
Je suis donc à l'affût, recherchant la fontaine salvatrice alors que devant, mon ami espagnol en est à son second complément d’eau via son support…..mais les fontaines ne sont pas là, la route n’est pas très jolie et le trafic routier assez important. On est sur une typologie de route de moyenne montagne et la haute montagne avec ses glaciers et son air frais et pur, me manque déjà!
….je suis sec! Mais j’ai une équipe de choc, ils se sont rendus compte de notre optimisme et de la difficulté du dernier col et on prévu une pause rafraîchissement pour le pauvre de moi, et, à la première opportunité de se garer sans gêner le trafic, ils ont été là, hayon buffet ouvert, coca frais (merci la glacière branchée) eau gazeuse, sandwich et pâte d’amandes. Que c’est bon! J’aurais envie de m’asseoir mais le règlement précise que l’on ne peut pas poser ses fesses sur le siège d’une voiture de la team, ni même sur le pare choc. C’est donc assis par terre que je me cale 3 minutes en dégustant les boissons fraîches mises à ma disposition par la support team de rêve. Un vrai luxe.

Je repars, une fois de plus rassasié et boosté à bloc, d’autant que, même si ce dernier col s’enquille plus difficilement que le reste, la fin de la partie vélo est proche.

Le trafic bleu me double, on a convenu qu’on se revoyait à la T2, pas avant. Il me reste 7 kilomètre de grimpette avant la bascule, les jambes pédalent mais je suis mentalement dans l’optique du marathon. Mon planning prévoyait une arrivée à la T2 pour 16h00, 9h30 de vélo. J’avais quand même imaginé aller un poil plus vite, mais à chaque col, les temps étaient à quelques minutes près sur ce que j’avais prévu….et toujours calé derrière l’oreille, “fais ta course pour finir, ne va pas chercher un classement”

Pour comparer avec d'autres parcours vélo de courses dures, le parcours de vélo de l'Embrunman sort pour moi entre 7h25 et 7h40 (188Km, 3600 D+), celui du Bearman en 8h07 (180 Km, 4600 D+), celui de l'Alpsman ou je m'étais endormi en 8h11 ( 184Km pour 4650 D+), le Stonebrixiaman en 7h35 (168KM, 6700 D+)

A deux kilomètres du col, qui je vois, Max, sur le bord de route, ils ont quand même fait une pause….et je vais quand même reprendre de l’eau gazeuse fraîche, parce que, quand c’est là, tu prends, tiens!

Allez, sans trop ralentir, la bascule se fera un poil plus loin après une série de tunnels paravalanches ajourés mais pas très lumineux et en courbe, je serre les fesses au passage des voitures, ma petite lampe de derrière n’a plus de batterie et j’ai peur de me faire pousser par une bagnole.
Les paysages redeviennent alpins et l’air devient aussi plus frais, c’est très agréable. Enfin, le col! La descente sur Trepalle fait 4km, je jubile d’avoir terminé cette partie de manivelles sans être cramé et en ayant su avoir la sagesse de rester dans le plan “Finisher”.


Dernier mètres de vélo, après, va falloir courir!                                              Photo Ursula Perrier

On avait été prévenu lors du briefing de course, le virage en épingle à droite est serré et une voiture suiveuse y est bloquée, je passe sur le talus à droite en déchaussant un pied, le parc T2 est visible sur la gauche après un dernier coup de cul bien bien raide.
Déchaussage, un bénévole m’attend pour s’occuper de mon vélo. Ursula et Max sont là, Ursula m’accompagne avec les sacs “Marseille” pour la T2, affaires de course à pied. Sous une tente, des bancs et des tables, comme pour un banquet (!) je pose mes fesses sur le premier coin de banc, retire les chaussures+chaussettes de vélo, la veste manches courtes, en sors le tracker GPS pour le caler dans la poche latérale de mon sac course à pied. Les manchons de compression pour les mollets sont vite enfilés, une paire de chaussettes propres, chaussures de running, casquette. Les affaires obligatoires sont checkées par un gars du Staff, frontale, veste coupe vent étanche, nourriture et boisson, sac refermé et enfilé, je peux y aller.
Un dernier coup de dents sur une tarte aux myrtilles proposée par le ravitaillement, un verre d’eau, c’est parti.


A la sortie de la T2, smile!                           Photo Max Perrier.

C'est parti pour 42 bornes de course à pied                        Photo Max Perrier.

Ursula est parti en avance vers la voiture garée un peu plus loin, elle a mis à ma dispo de l’eau gazeuse et du coca. Un verre de chaque et c’est définitivement le temps de m’arracher de là.
Le parcours de la course à pied est sympathique, il attaque par de la descente. Ceci-dit, après les 200 bornes de vélo, les cannes sont lourdes et la position debout impose une adaptation physiologique et psychologique qui peut prendre un petit moment. 


Et si on se faisait un petit footing.....de 42 bornes

Le parcours dans son intégralité

Je pars donc tranquillement, les jambes, rouillées au départ, se débloqueront petit à petit. Le parcours est effectivement très descendant sur les deux premiers kilomètres. On est sur du bitume, ça tape, les pointes de pieds touchent dans la chaussure, c’est inconfortable au possible mais ça va pas durer. Ce qui m'ennui vraiment par contre, j’ai toujours mal au bide, je dois faire une pause technique de plus pour lâcher un peu de lest. Repartir, c’est mieux, j'en profite aussi pour sortir de mon sac une petite éponge que je cale sur le haut de l'épaule en dorsal pour soulager la morsure de cette inflammation qui ne me quitte pas depuis des mois, je la trempe dans une fontaine, le point froid en compression fait du bien.
Je quitte le bitume pour du chemin en monotrace pas très technique, terre et caillasse, la pente est plus douce, ça devient plat, je cours, sans blague, je cours…..je suis seul au monde, personne devant, personne derrière, le paysage est très joli, la forêt est là devant, on devine le lac tout droit, je rêvasse, je suis bien! Trois kilomètres, sur un nuage, je suis un petit torrent à gauche et le chemin m’amène à gauche en traversant un petit pont…..et ça monte, mince, je cours encore, la pente se relève, mince….je cours plus. J’ai un gros doute sur mon cheminement, suis-je toujours sur le parcours de la course? Le profil que j’avais en tête ne proposais pas de pente montante ici. Je rebrousse chemin pour aller voir au pont si par hasard je n’aurais pas loupé une flèche…..j’arrive au pont, il y a effectivement une flèche...à gauche, mince, alors ça monte vraiment là? Entre temps une nana passe en vtt…..elle pousse son vtt dans la pente qui se relève, le sentier rentre dans la forêt et part en lacets montants. Je marche, d’un pas rapide mais refuse de courir, il reste 38 bornes, hé!


Heureusement, ces pentes se calment, ça repart quasiment plat en sous bois, à flanc de pente, ça descend soudain raide en revenant vers le lac que je distingue à travers les arbres.

Passage dans le bois, frais et apaisant, c'est beau!                               Photo Samuel Confortola

J’arrive soudain sur un chemin gravillonné large…..s’y promènent des touristes. Ils ont l’air surpris de voir débarquer un OVNI sorti du bois, je le suis presque autant qu’eux, d’un seul coup jeté dans un milieu “peuplé”. Mord de rire, l’impression de sortir de 15 jours de brousse après quelques heures de sport!

Supinateur?                    Photo Samuel Confortola
Le chemin est plat de chez plat et je cours peut être un peu trop vite, cherchant une foulée que je ne trouve pas pour ce début de course, très rapidement dépassé...... j’explose après un kilomètre. Je me retrouve à marcher,” ok j’ai compris, on va revoir les allures, trottiner, pas courir, sinon tu vas pas finir mon gars!”
Je me refais la cerise, bois un coup, mon sirop de framboise dans le sac à eau est frais, c’est un régal.

On avait convenu avec Ursula et Max qu’on se croiserait autour du km 12. Le parcours commence dans la vallée de Livigno, sur de la piste cyclable partagée piétons/vélos en légère montée. Je trottine donc et ça va pas si mal que ça. Les kilomètres défilent, pas trop vite, mais défilent. Il y a pas mal de monde sur ce secteur, certain passants au courant de la course applaudissent et encouragent, admiratifs, moi, ça me file la chair de poule. Les “Grandé” et les “Daï”,sont d’un réconfort énorme. On prend conscience de la difficulté de ce que l’on est en train de faire, et on a envie de bien le faire.

Ursula, tiens, elle est déjà là? Je pense à ce qu'elle a du gérer de son coté, le ramassage des affaires de vélo, le vélo à rentrer dans la voiture etc....et organiser les affaires pour la suite. C'est sûrement pas simple.......
Elle se met à courir à côté de moi, on va courir et marcher puis re-courir comme ça sur un peu plus d’un kilomètre, le temps de planifier qui, quoi, quand, comment et où des prochains ravitaillements perso.

Max est un peu plus loin, il m’attends avec un ravitaillement bien venu, encore de la soupe, c’est bien pour tapisser l’estomac et ça servira pour les heures d’après, ensuite, un verre de coca, un verre d’eau et on repart. Ursula passera par l’appart pour faire une pause et refaire le plein pour me recroiser au demi tour en fond de vallée au km 20. Max court, il arrive même à discuter avec moi, il court et court comme il n’a jamais couru de sa vie! Il manque même la bifurcation qui devait l’amener à l’appart rejoindre Ursula. On passe comme ça 5 bornes, 5 bornes de plaisir, oubliant les difficultés de la course. Il doit quand même partir à droite pour retourner à l’appart et arriver ensuite à me rejoindre au demi-tour avec Ursula.

On doit être au kilomètre 11, je sais que l’organisation a prévu des ravitaillements officiels, il y en a un qui va arriver au kilomètre 13. La piste cyclable laisse la place à des parties de sentier bien agréable, passage de ponts, le ravitaillement arrive. Je fais la pause rapide, bois un verre de thé chaud, bien sucré et repars. Le prochain est au Km 18.

Les kilomètres s’enquillent finalement pas trop mal, entre temps,la couleur du ciel à changé, il est moins bleu qu’avant, quelques nuages offrent une ombre finalement appréciable.



Je suis maintenant sur du chemin monotrace, le silence absolu, toujours seul au monde, les écarts entre coureurs sont, semble t’il, assez importants. J’ai bien recroisé mon Belge moustachu et quelques autres au gré des ravitaillements, mais l’un ou l’autre part toujours avant ou après et finalement, on court seul.

Bzzzzzzzzzzz, j’entends un bourdonnement un peu plus loin, ça vient de la forêt, à un moment ou la pente se redresse après le ravitaillement du 18ème, je marche, toujours dans cet optique de finir avec quelques watts, marcher dès que ça monte, courir sur le plat ou en descente. Je marche donc et aborde une pente raide, le Bzzzzzzzzz est un drone qui, à la sortie de ce sentier, attend les coureurs pour les filmer, il y a aussi une caméra sol et un photographe…...peut être verra-t-on plus tard les images de ce passage.

Le demi-tour marquant le 20 ième Km n’est plus loin, je débouche dans ce fond de vallée, ça monte encore pas mal, chemin gravillonné large puis monotrace. Hourra, c’est la bascule, une ferme à droite, le bout de la vallée de Livigno. Le ciel est encore un peu plus gris et il commence à faire frais. Il est 18 h 40, c’est top, je suis pile poil sur les prévisions (à 10 minutes) et je sais que je ne vais pas tarder à croiser Ursula et Max pour un ravito. Perso.. Je vois un poil derrière moi un autre coureur qui arrive, il est habillé avec la trifonction de l’édition “One” du Stonebrixiaman que j’avais fais en 2017, je l’attends, on repars en marchant (ça remonte un poil) et on discute, plus dur ou moins dur aujourd’hui? On s’accorde à dire que le vélo, ici, est bien sélectif et on se demande comment on sera croqués sur la fin de ce parcours à pied. Il a un peu plus de peine à relancer quand ça redevient plat, alors il me demande de ne pas l’attendre, je lui dis que de toute façon, on se reverra sûrement plus tard.

Km 23....tout baigne!                                                             Photo Diego De Giorgi
Quelques centaines de mètres plus loin, comme prévu, Ursula et Max, arrivés en vélo, m’offrent de l’eau pétillante, du coca. Mais je sens que pour du solide, l'appétit commence à faire défaut…..hummmmmm, pas bon ça, on est au Km 23, reste un semi et pas mal de dénivelé…..pourvu que ça tienne. Je me force quand même pour avaler un verre de soupe et mords dans un morceau de pâte d'amandes. Notre ami Italien du Stoneman arrive, on lui propose de l’approvisionner avec ce qu’il aimerait, il refuse, il continue sur sa lancée, je repars derrière lui. Avec Ursula et Max, on se dit rendez-vous à la T3, au Km 29,5.

Le parcours est maintenant assez descendant, piste cyclable, côté gauche de la vallée, elle est en balcon à quelques dizaines de mètres plus haut et offre une vue sympathique sur le village qui approche. Le camping sur lequel on était il y a deux nuits est là, juste en dessous. Ca me fait sentir que le but se rapproche, le plus gros est fait. Moment d’euphorie, je monte en allure, arrive sur un groupe de coureurs + team et passe, ils marchent, je cours, c’est le bonheur!
Je rattrape un binôme que je vois se rapprocher chaque fois qu'une ligne droite me permet d'avoir une vue éloignée. Je reconnais ce débardeur, rouge et blanc à rayures, c'est Peter Oom, il est habitué à des top 5 sur pas mal de courses, que fait-il là?


Je finis par les rejoindre, lui et sa support, on discute un peu du Stonebrixiaman qu'on avait fait la même année etc....et je les double, leur disant qu'on se reverrait là aussi certainement plus tard, au gré des ravitaillement et de la force qu'il nous resterait.

Oups, le parcours fait un crochet à gauche, remonte dru dans la forêt, on se rapproche du passage sous le câble du téléphérique du Carosello 3000. Là, ça court plus du tout, les mains sur les cuisses pour aider le mouvement, je me retrouve essoufflé, mais ça tient, le passage raide est finalement assez court, monotrace, traversée de torrent, en sous bois, j’ai enfilé la coupe vent, il commence à faire vraiment frais.


Km 28, ça débouche sur une route forestière, un ravitaillement de la course sur le gauche, je m’arrête, bois un thé chaud…...trop vite pour un estomac qui commence à en avoir marre de l’effort, et, sans surprise, à peine ingurgité, il revient….premier vomito après environ 14h00 de course, pas bien! C’est aussi le moment qu’a choisi ma montre pour rendre l’âme, batterie off! J’ai une deuxième montre en T3 pour pouvoir garder trace de cette course et avoir une analyse de ce qui s’est passé.


Un des gars du staff me demande si je ne veux rien d’autre….il insiste, je me dis qu’il a raison, essaie de boire tout doucement un fond de verre de coca…...ça passe!

Les mecs que j’avais laissé derrière en ont profité pour passer devant, pas grave, je sais qu’on arrive à la T3, j’ai la banane!

Max surgit d’un coup là où je ne l’attendais pas, au détour d’un virage, en même temps la vue s’ouvre sur la station basse du Carosello 3000 et la Plaza Placheda, où se situe la T3. Quelques centaines de mètres pour nous y rendre en forte pente descendante, les pointes de pied tapent au bout des chaussures, les quadriceps se font sentir mais la tête est ailleurs, maintenant, je le sais, je tiens le bon bout, je vais être un “ICON”.

Le jour est en train de tomber et lorsque j’arrive avec Max sur la T3, c’est presque comme si on était déjà arrivé, une arche gonflée marque le passage pour se rendre dans la salle où se situe la transition et la vérification du matériel obligatoire. Pas mal de monde, les encouragements à nouveau, Ursula est là, elle est prête avec le sac plein des affaires obligatoires pour cette dernière partie de course, la dernière ascension. Le sac est vidé sur une table, mes affaires dans le sac “Laurent Vidal” d’un côté, les siennes de l’autre. Tout est méticuleusement inspecté par un membre du staff, le pantalon windstopper, la veste de pluie à capuche, le sous vêtement technique, la frontale, à boire, à manger…..tout ça multiplié par deux, Ursula va se taper un sac bien chargé pour partir avec moi sur ces 12 derniers kilomètres.


Max, lui, empruntera le téléphérique pour se rendre tout en haut et nous attendre au Carosello 3000, on a convenu qu’Ursula lui enverrait un sms pour le prévenir de notre arrivée prévue pour 22h30 sur le plan de course.

Le checkup du matériel terminé, je garde ma coupe vent, frontale sur la tête, bâtons à la main, deuxième montre démarrée….mais à la recherche du signal satellite (garmin 910 XT) , on s’échappe, les luminaires publics se sont éclairés, on est vivement encouragés et j’en ai encore la chair de poule!

On part au début en marchant, il y a environ 5 km pour traverser la longue rue piétonne du centre village. Il est environ 20 h 15.

Pas mal de monde dans la rue, ou assis en terrasse et là encore pas mal d’encouragements, on se met à courir, Ursula, chargée comme une mule fait un effort de malade pour maintenir une allure, moi, léger, avec mon petit sac de trail, je n’ai que ses bâtons à prendre, je l’encourage, on s’encourage, les gens autour nous applaudissent, on est bien!

On a un couple d’Italien devant, et on se dit qu’on va essayer de ne pas les lâcher….mais, avec son sac, Ursula peine de plus en plus et on se dit que de toute façon, on va pas gagner grand chose à se défoncer ici en bas, il faut en garder pour la fin.

Nos Italiens s’éloignent, comment ont ils fait pour caser tout le matos obligatoire dans d’aussi petits sacs? Bref, on alternera marche et petit trot jusqu’au virage à gauche qui amorce les derniers 10km, là, surprise, c’est un vrai show avec speaker et jeux de lumières pour passage sous une arche, encore des encouragements fournis…..avant d’obliquer pour ce dernier bout, passant du bruit et de la lumière à un noir intense maintenant, le silence, …..la pente. Ca part tout droit dans la pente et c’est sacrément raide. On voit bien les binômes plus haut et plus bas, marqués par le halo de leurs frontales, et avec ça, difficile de ne pas se prendre au jeux. Forcément, tu ne veux pas que les deux points blanc là bas en bas te rejoignent et tu te dis qu’il faut garder en point de mire le duo de devant, alors, ton allure n’est plus celle que tu aurais si tu étais seul, forcément, ça accélère.

Heureusement, c’est un premier coup de cul sur 200 m de dénivelé et après on sait que ça se calme pour retourner en balcon jusque au km 37,5, il restera alors uniquement 5 kilomètres à gravir mais avec 800 m de D+, pour ceux qui sont forts en math....on est pas loin de 20% de pente moyenne, on va morfler!

Je préviens Ursula d’une espèce de fièvre qui me tombe dessus, je pète soudain de chaud et me sens fébrile, je connais ça, c’est pas bon du tout, ça annonce le début de la fin, des spasmes et vomissements vont arriver à intervalles réguliers pour me pourrir cette fin de course. Merdouille, me dis-je, c’était vraiment obligé, si près du but!

Et donc, premiers spasmes, obligé d’arrêter la machine, première pause, arc bouté sur mes bâtons, penché vers le bas, c’est Guernica, tout s’écroule!


Je sais que ce ne sera pas la dernière pause de ce type, plus nous allons avancer, plus l’écart entre ces épisodes devrait se réduire. Il va falloir gérer au mieux.

On rattaque sur une partie quasi horizontale maintenant, je me sens tout à coup bien mieux et en profite pour redonner de l’allure, je sais que ça sera comme ça jusqu’à ce que, à nouveau fébrile et fiévreux, je laisse passer les spasmes pour continuer, jusqu’au sommet!

Ursula s’adapte et sait exactement ce qu’il faut faire, on se parle peu mais la communication est pourtant parfaite.

Km 36….on remet ça,le temps passe….et je trépasse, le dernier petit ravito improvisé par un habitant d'une ferme et ses enfants ne m'aura pas réussi, et pour cause, jamais, je n'ai bu un truc aussi écoeurant, mais je ne pouvais pas refuser, ils avaient l'air si contents de nous l'offrir!....un coca "The new one" qu'il a dit, un mélange de coca et de café au gout caramel....mais sans sucre! Je vous laisse imaginer.
Donc, vomito hillico, quasiment 8 minutes avant de repartir. Nos deux suédois repassent devant et les prétendants, halos de frontales, semblent se dépêcher encore d’avantage pour passer devant. J’ai l’impression d’être l’insecte à l’agonie que des milliers de fourmis emporte vivant vers la fourmilière.

Km 38, c’est l’attaque de la dernière partie raide, on va remonter sur une piste de ski. Ce que j’avais pris pour un sentier monotrace s’avère en fait être une espèce de chemin large et sur raide presque direct dans la pente. Ce compte rendu reprend les kilomètres d’après le tracé Strava, mais en ayant changé de montre, je ne sais pas du tout où nous en sommes des 42 bornes et ça va nous jouer des tours.


Derniers 5 kilomètres....une pente à 20%!!!


Km 39, on devine la station intermédiaire du téléphérique, encore une pause, encore les spasmes, encore un peu plus à creuser dans un mental en lambeau, rafistolé par les mots d’Ursula et son aide sur chaque épisode.

500 mètres plus loin, on domine la station, je jette un oeil sur l’altimètre et cette montre qui a mis un temps fou à trouver les satellites, elle me donne 2000 mètres. C’est la fin des haricots. Cette nouvelle me tue. Il resterait encore 800 m de D+.....je commence à douter clairement de ma capacité à rejoindre ce foutu sommet, vu le rapprochement des spasmes et l’énergie qu’ils me bouffent.

On pense bien que la montre déconne….mais une part de doute subsiste. Le mental fait tout à ce moment de la course et une once de positif permet de repartir. On imagine cette dernière ligne droite, escarpée dans la caillasse, qu’on a vu et revue sur les images des finishers des éditions précédentes. Si on veut finir là haut, c’est pas le moment de chouiner.

Je repense aux mots de Steph “à quatre pattes tu le finis”.

Manquerait plus que ça. Mais que c’est raide, en fait, cette dernière portion de plusieurs bornes, c’est tout le long aussi raide que les derniers 100 m qu’on voit sur les vidéos de la course!
Km 40.5, mon allure, entre les spasmes est vraiment correcte et c’est d’autant plus rageant, mais il n’y a rien à y faire. Il fait maintenant bien froid, j’ai enfilé un pantalon et ma veste gore tex sur deux coupes vents (Merci Ursula). Je ne parle plus qu’à voix basse, je ne suis plus que l’ombre de moi même. Je me rince la bouche de temps en temps avec le tuyau du camel back d’Ursula, j’aimerais déglutir mais n’y parviens pas. Elle me propose une pâte d’amandes, je me dis que si ça passait, ce serait un miracle, le fait de porter le petit bout à mes lèvres provoque immédiatement une montée de fièvre, les spasmes arrivent tout de suite après, …...les coureurs passent, je ne les compte plus. On se demande vraiment combien de D+ et combien de bornes il reste à parcourir et ça n’arrange pas mes histoires. Si seulement je savais!

On repart, la vision soudaine presque fantastique de vaches bizarres, on dirait des espèces de bisons, ça nous fait marrer. Ils sont là, dans une noirceur totale, debout, dans la pente, au milieu de nulle part. Juste après, un 4X4 passe, puis un motard sur une petite motocross, là encore, on a l’impression de faire partie d’un film étrange, les situations sont presque drôles. Entre du Linch et du Almodovar, on continue notre marche nocturne. Le halo lointain d’éclairs illumine parfois le ciel. On imagine ce qu’ont subi les coureurs des années précédentes, sous la pluie, la neige, je ne sais vraiment pas si j’aurais apprécié ce plaisir supplémentaire. J’ai de plus en plus de mal à trouver l’énergie de continuer l’ascension. On fait des lacets pour affaiblir la pente, incapable d’aller tout droit dans ce raide. Je suis en fait en train de m’endormir, je pourrais me laisser tomber et dormir là, n’importe où. Je lutte vraiment pour ne pas m’asseoir, sachant que si je me pose, je ne repartirai pas…...
Au détour d’un virage, on entrevoit clairement les flammes de ce qui pourrait être la dernière ligne droite...mais la distance à laquelle elles se trouvent est impossible à vraiment estimer. Deux bornes, 500 mètres, on ne sait pas. Ce que l’on voit c’est que c’est quand même bien plus haut mais ça, pour le coup, ça réveille mon cerveau, j’étais littéralement en train de m’endormir en marchant. Le petit coup d’adrénaline m’a requinqué presque immédiatement. Je retrouve une certaine vigueur (relative), sait que maintenant, plus rien ne peut arriver, et, même si ça aurait été mieux de finir plus vite et moins malade, l’esquisse d’un sourire revient sur mon visage.
On va l’avoir cette course de dingos, on va l’avoir.


Les torches sur le dernier replat........ bientôt l'arrivée!                          Photo Umberto AMIRAGLIO

La pente se calme, on amorce une traversée à gauche, on distingue maintenant clairement le sommet, LE SOMMET!!!
Le son de la ligne arrive même jusqu’à nos oreilles, l’odeur de cire chaude dégagée par les flambeaux plantés là pour jalonner ce dernier bout de montagne, ce tas de caillasses abominable. On arrive, ON ARRIVE!!!
Nom d’un chien, combien  de fois j’y aurais pensé à ce final, on arrive aux premiers flambeaux, on voit bien l’arche d’arrivée, une petite plateforme précède la montée finale, on y est presque.
Plus que quelques dizaines de mètres, la fatigue n’est même plus là pour  nous énerver, les pas sont faciles, la plateforme, on y est. C’est le moment pour se serrer dans les bras l’un de l’autre avant cette dernière pente, j étouffe quelques sanglots.... Le moment est d’une intensité incroyable!


L'arche d'arrivée                                                 Photo Samuel Confortola

Maintenant d’attaquer ces 30 derniers mètres, le speaker est là, il nous annonce, les tams tams et la corne de brume dans la bande son de l’épreuve pour baigner encore un peu plus dans cette ambiance de fin du monde, de fin de course.


D'autres concurrents dans la pente finale                                   Photo Umberto AMIRAGLIO

La banderole d’arrivée est tendue, elle est là, elle nous attend, on marche presque à quatre pattes dans cette pente d’éboulis avant que, tout d’un coup, le sol ne devienne  horizontal. Une pause pour savourer cet instant, Ursula est à ma droite, on se regarde, on empoigne la banderole...EX-PLO-SION- on s’embrasse, presque fébriles…...Je suis un ICON, “NOUS SOMMES DES ICONS”.
Photo Diego De Giorgi


Photo Photo  Umberto Armiraglio

Photo  Umberto Armiraglio


La suite..............

Tout de suite après, Max est là, ils nous attendait derrière la ligne, Ursula l'avait prévenu pour qu'il descende un peu plus bas pour faire la dernière rampe avec nous mais il a mal compris et attend sagement derrière l'arche. Il a saisi l'instant avec sa Gopro!
......et puis, l'euphorie retombe, les forces en présence tellement basses, en vrac, le front appuyé sur un poteau de bois, je savoure l'arrêt de l'effort, juste l'arrêt de l'effort après.......18h37 de course! Jamais je n'aurais effectué de course aussi longue, l'Embrunman, toujours sorti entre 13h13 et 13h14, le Bearman en pas tout à fait 15h00, le Stonbrixiaman en 16h01 et 17h15.....bref, du lourd pour ce parcours qui accumule bien 243Km pour 6200m de D+

Photo Umberto Armiraglio

......Passé une trentaine de secondes comme ça en appui sur mon poteau (poto), on se dirige ensuite vers le restaurant de la structure de remontée mécanique......mais on ne trouve pas le réfectoire(!) jusqu'à ce que Max aille voir à l'étage, c'est bien là. Contrairement au Stonebrixiaman où tout le réfectoire applaudissait l'entrée d'un nouveau  finisher.....le resto est quasi vide et presque silencieux....des écrans TV diffusent des images de VTT de descente, j'ai un peu le vertige et suis nauséeux, je ne pourrais profiter du repas offert par l'organisation et laisse Ursula et Max aller se faire servir.
Je profite de ce moment calme pour enfin pouvoir me pauser, je m'endors!
Repas terminé, il faut se réveiller, je me gèle, on s'habille pour la descente......en télécabine!
Dans un noir total, on savoure la vue tout en bas sur les lumières de la vallée de Livigno.
L'instant est parfait, on savoure l'accomplissement d'une journée qui nous paraît avoir commencée avant hier, seul le son de la vibration du câble de la télécabine et le passage des pylônes pour berceuse. Je vais bien!
La descente semble ne plus finir et on comprend mieux pourquoi, tout à l'heure à la montée, ce cheminement nous est apparu interminable. En bas, sur la piste, quelques halos de binômes coureur / support sont encore accrochés dans la pente, comme en apesanteur. M'imaginer à leur place....non, nous avons terminé!

La station du bas arrive finalement, sortir, sentir à nouveau l'air fraîs. Il faut rentrer à l'appart, il est 1h00 du matin, Max me prète son vélo et Ursula rentre en poussant le sien qui est....crevé.

....."Livigno, Italie, Samedi 31 Août 2019, 1 heure 30 du matin, je suis assis sur le sol du bac douche et malgré l'eau chaude qui me coule dessus depuis peut être un quart d'heure, j'ai du mal à me réchauffer. Attraper le flacon de gel douche va me demander un effort considérable, je suis totalement cuit, pourtant, je me sens maintenant incroyablement bien!"

Une bonne nuit de repos plus tard, j'ai retrouvé un appétit d'ogre, il fait beau, un vrai gros petit dej. en famille avant de quitter l'appart pour la cérémonie des remises de Tee Shirt Finisher et le repas d'après course. Ces moments sont top!

On profite, maintenant sans pression de l'environnement, de l'atmosphère, du temps qui passe!

Un TOP finisher heureux!                                 Photo Umberto AMIRAGLIO

Les 99 TOP Finishers Photo Umberto AMIRAGLIO

LA "verybest dream support team! "
Pour finir, le format de course, les conditions (eau froide, j'ai pourtant lu le compte rendu d'un extra-terrestre qui l'a trouvée...."pas si froide"), l'altitude des cols, la distance en vélo, la raideur du final à pied....me permettent de dire que sans mes supports, je n'aurais probablement pas finis, ou pas fini dans les temps. Et pour ça, leurs efforts, leur dévouement, leur réconfort, leur présence et tout ce qu'ils auront eu à endurer pendant, mais aussi avant et tout au long des mois de préparation (les absences, les entraînements, le stress etc....),


Ursula, Max, je vous dédie cette course!


Deux jours après, assis au bureau, si le corps est bien là, la tête, elle, reste bien perchée, là haut dans les montagnes!

THE END!


La petite vidéo montée sur les images tournées par MAX, c'est ICI: https://www.youtube.com/watch?v=0SyXZb8RpKw&t=171s

La vidéo officielle de cette édition 2019, c'est ici: https://www.facebook.com/iconxtreme/videos/737563990080048/