samedi 8 juillet 2017

StonebrixiamanXtri 2017: Course à pied


A peine sorti de l'aire de transition, je croise Harald et Bärbel que j'embrasse rapidement en pasant, puis je file vers la sortie de la place centrale, direction le haut.....en effet, ça grimpe raide d'entrée de jeux. Je vais essayer de ne pas me défoncer sur les premiers kilomètres en marchant dans les cotes raides et en courant dès que ça se calme et dans les descentes.

Il fait chaud, très chaud. La première partie du parcours est une boucle de 10 km avec environ 200 m de dénivelée sur les 5 premiers km. Le fléchage du parcours est super bien fait cette année, des flammes orange fluo / 3M sont idéalement disposées, dès qu'on lève un peu la tête, on en aperçoit une. 

Les premiers kilomètres sont durs, il faut s'adapter à une nouvelle position, à un nouvel effort, d'autres muscles rentrent en mouvement et la pré-fatigue de ce qui c'est passé avant qui pèse toujours sur ces attaques qui suivent la transition. Je sais que le parcours dans cette première boucle comprend beaucoup de passages devant des fontaines, alors je prends mon mal en patience et j'attends d'en croiser une pour me rafraîchir.

Perdu dans mes pensées, d'un seul coup, je me retrouve à me poser la question « qu'est ce que j'ai fait du GPS de suivi du parcours ?» Une sueur froide plus tard, je réalise que le mouchard est resté dans la poche arrrière de la veste vélo avec le téléphone, et mince, je n'assure vraiment pas, la même chose que l'an passé, et avec le GPS, le téléphone, je ne peux donc pas prévenir Ursula que c'est elle qui l'a et qu'il faut qu'elle me le rende au plus vite. Je dois la croiser vers Tému.....(dans 10km)

Je me retourne régulièrement, me croyant poursuivi par des fantômes..... pensant qu'un autre concurrent va arriver car il me semblait avoir vu arriver un vélo quand je quittais T2. C'est bon signe, je repasse en mode course, moins résigné. Pour autant, et aussi loin que je puisse voir derrière moi, pas de trace de coureur. 
Ca me donne un peu de courage et les parties pas trop pentues sont courues, avec une petite foulée assise, du plus pur style « j'ai plus rien dans les cannes ».
Chemin faisant, arrive le premier ravitaillement, un demi verre de coca chaud....humm, pas terrible, je file. Peu après, ça bifurque à droite pour attaquer la partie en balcon au dessus du village. Le parcours est très chouette, une vue dégagée, un peu d'ombre aussi qui arrive et la première fontaine. Ouah ! Là, c'est un petit moment de bonheur, la tête sous l'eau et les bras trempés dans le bac en bois, l'eau est hyper fraîche, je m'en délecte, elle est très bonne à boire !

Ca repart au petit trot comme ça, alternant les moments de marche et de petite foulée, le corps commence à s'habituer, je reprends du poil de la bête.

Un moment, un passage très raide attaque dans la forêt, tiens, je ne me souvenais absolument pas de ce passage là sur la course de l'an dernier,.....normal, c'est pas le même parcours, les mains sur les cuisses, ça tire, .....ça passe. 

S'en suit un joli monotrace en sous bois, la température devient agréable, ça court à nouveau!

KM 8, le village de Villa Daleg, je suis arrêté à la fontaine quand je vois une grande silhouette rouge venir vers moi. C'est Micael, mon Danois de Gavia, qui revient sur moi. Il me dit qu'il a chaud, me demande si on peu boire l'eau des fontaines ? Que oui, c'est la meilleure !
Je repars alors qu'il boit, on se reverra plus tard, « see you soon »

Le parcours attaque la descente sur Lecanu et Temu, pour bientôt boucler les premiers 10 km. Je me rends compte que ma forme n'est pas celle des grands jours. Arrivée à Temu, on traverse la route principale pour aller sur l'autre versant de la vallée. Je m'arrête encore à un ravitaillement de l'autre côté de la route, discute une minute avec les bénévoles généreux de compliments et qu'on sent admiratifs. Là encore, du coca chaud, il faudrait vraiment rapprocher les ravitaillements des fontaines pour y faire tremper les bouteilles et pouvoir servir des boissons à moins de 30°C.

La petite partie du parcours qui suit est une descente assez raide jusqu'au ruisseau, je devine Max qui m'a vu arriver et Bärbel un peu plus loin qui vient à ma hauteur. Je lui dit qu'aujourd'hui, ça risque de durer longtemps..... Elle m'encourage en disant que cela ne fait rien. Je suis gêné de les faire suivre mon rythme d'escargot. Un peu plus loin Harald est là aussi, je lui explique pour le GPS, il va tout de suite essayer d'attraper Ursula au vol (elle était en train de me rejoindre en vélo pour m'accompagner sur les kilomètres qui suivent). Du coup, elle devra à nouveau faire le trajet inverse pour retourner au camping de Tému, prendre le GPS et le téléphone et me les ramener en me trouvant sur le parcours un peu plus loin.
Ca me fait presque oublier combien ça monte. En effet, tout de suite après le ruisseau, coté sud de Temu, les kilomètres qui suivent sont là aussi assez raides. Un large chemin de forêt va nous conduire jusqu'au petit lac du « rifcugio campanna Valbione ».

Quelques centaines de mètres sur ce chemin et je vois arriver Ursula, que c'est bon de la voir arriver. Elle a sur son vélo pas mal de choses pour m'assister, eau pétillante fraîche, un vrai luxe, le GPS et le téléphone que je mets dans la poche du la ceinture porte bidons, celle offerte par l'organisation de la course qui va plutôt pas mal. Elle a aussi pensé aux bâtons que je n'avais pas demandés sur le plan de course avant le 22km (attaque des pentes très raides), mais qu'elle a pris « au cas où », et puis, le plus important, sans doute, sa compagnie, crucial je dirais même pour redonner du baume au cœur sur cette course où 99% du déroulé du parcours se ferait sinon seul, les autres coureurs étant disséminés par ci par là.....
Le lac, qui se situera à la fin de ce chemin forestier qui monte, marquera le 16 ième kilomètre et la bascule descendante après 5 bons km de montée.
C'est un des endroit où les gens du coin viennent boire un coup en famille, du coup, on croise quand même quelques bagnoles peu en attention vis à vis de nous qui sommes obligés de respirer la poussière qu'elle soulèvent en roulant sur ce chemin de terre. 

Les kilomètres se déroulent pourtant assez bien, même si j'avoue à Ursula que si elle n'avait pas été là........j'aurais eu tendance à mettre le clignotant à droite.....ou en tous cas à y penser fortement. La forme n'est effectivement pas au rendez-vous, la température est très élevée, le mental en dent de scie. Mais on commence à connaître la bête, les jours de course longue, c'est souvent comme ça, alors on essaye de penser à autre chose et, tout à coup, on se retrouve quelques kilomètres plus loin, sans vraiment s'en être rendu compte. C'est là aussi que commence le travail sur soi, et cet apprentissage de sois, propre aux courses de ce format. De ces voyages intérieurs d'une dimension immense, le puits sans fond de son intérieur et ses lieux dérobés à découvrir, ceux dont on ignorait l'existence avant ça. Et c'est aussi pour ça qu'on y retourne, pas seulement, certes, mais aussi !

Km 16, 15h30, on arrive au lac, un air de colonie de vacances, les familles autour de tables en bois, ça mange des glaces, ça boit un coup, c'est tranquille. Le parcours fait le tour de ce lac, j'ai une envie énorme de piquer une tête, mais, malheureusement, le lac est clôturé (?!). Le lac est une retenue, peut être pour de la neige de culture en hiver, peut être une réserve de pêche, en tous cas, il est clôturé ! L'envie est trop grande, je fait le pas de passer par dessus le grillage, bon, j'aurais voulu y nager mais un type à coté me regarde d'un sale œil, il est temps de repartir. J'aurais juste pu me rafraîchir les bras et la nuque, et repartir comme je suis arrivé, en refaisant le grillage.....
La suite du parcours plonge dans le sous bois, un monotrace raide avec des marches, qui empêcheront Ursula de pouvoir suivre plus en avant avec moi. C'est le moment pour moi de prendre les bâtons, ils me donnent pas mal d'assurance dans cette descente et me permettent de bien repartir sur un petit trot bien posé. Au passage, je rattrape même quelques gars qu'on avait vu plus bas mais je n'avais pas vu me doubler (!?). peut être auront ils zappé le tour du lac ? Peu importe, je repasse devant, et cela me rassure, non pas sur mon classement dans la course sur lequel j'ai définitivement mis une croix, mais sur mon état qui ne semble finalement pas si mauvais que ça, à la vue de ce que je vois sur certains des mecs dans le sous bois.
Cette descente est vite avalée, glissant sur les aiguilles de Mélèzes, j'arrive au Km 18,5, sur la piste cyclable qui ramène au centre village, à la T2 par laquelle transite le parcours à pied. Je me remets à courir sur cette piste très légèrement descendante, agréable de revoir que les jambes suivent à nouveau.
Quelques centaines de mètres plus loin, je revois Micael, il marche, en arrivant à sa hauteur, il me dit qu'il a soif, me dis qu'il a la langue en papier de verre....je lui propose une de mes gourdes, il accepte. Je lui propose qu'on reparte pour un petit footing jusqu'à la place centrale, et c'est reparti, petite foulée mais ça court, ça fait plaisir de ne pas courir seul, on partage ces moments et c'est bien sympa.
La place centrale se rapproche, une nouvelle étape de franchie, je sais qu'ensuite, la petite portion de piste cyclable, sur l'autre rive que celle que nous avons empruntée pour descendre, nous amène au pied des pistes de skis que nous allons remonter, et que la partie raide approche. Je me suis dit qu'ensuite, la course serait sortie de manière quasi-sûre.
On arrive sur la place par un escalier, un bénévole qui nous voit obliquer à droite vers la sortie du parc à vélo, nous donne la direction opposée, vers la gauche. On suit son indication pour partir dans la rue piétonne à gauche, même si ça me paraît bizarre, je suis !

 A ce moment, Micael croise son support et me dit qu'il fait demi tour pour s'arrêter à la tente de ravitaillement, je lui dis qu'on se verra plus tard, que je continue comme ça doucement, et je m'en vais, reprenant en fait le départ de la première boucle à pied. Je vais comme ça jusqu'à la sortie de la zone piétonne, ça monte raide. Mais je me pose la question de savoir si c'est le bon chemin car de mémoire, pour moi, le parcours partait à droite, pas à gauche. Je m'arrête, demande à des passants si ils savent si la course prend cette direction sur la deuxième boucle, ils me disent que oui....je continue quelques mètres, je doute de plus en plus, je pense qu'ils se trompent, je pense que je suis maintenant trop loin de la place centrale pour faire demi tour. Je me souviens d'un point sûr, il faut regagner la piste cyclable sur l'autre rive. Je connais un peu le village et décide de poursuivre en obliquant vers le bas pour retrouver le torrent, le suivre et retrouver la piste cyclable. Je suis vénere de m'être trompé de la sorte, même si mon classement n'importe plus vraiment, le fait de tourner en rond et de peut être rallonger le parcours me rend vraiment de mauvaise humeur !

Je retrouve le torrent, il me faut trouver le passage du pont pour passer de l'autre côté, je reconnais maintenant le parcours emprunté dans l'autre sens, le remonte, trouve le pont, traverse.
Je me demande combien de temps je vais mettre à retrouver le parcours « normal », je suis vert d'avoir laissé partir ainsi mon compagnon de course qui je l'espère aura entre temps reçu la bonne indication de parcours.
Je croise une paire de français qui suivent un mec sur la course, ils sont surpris de me voir là, je leur explique mon histoire, ils ont un plan du parcours avec eux, on regarde, et ouais, il fallait prendre à droite sur la place centrale, merdouille, mais bonne nouvelle, je retrouve le parcours officiel dans quelques instants, au km 22 environ. Il me reste deux kilomètres environ avant de retrouver Ursula qui devrait être là, peut être.
Le parcours à cet endroit, chemine à travers un sous bois assez agréable, lieu de picnic aménagé avec des bancs, des aires de BBQ etc...en bord de torrent. Il y fait un poil plus frais et je cherche une fontaine, il doit bien y en avoir une quelque part.....bingo ! La belle fontaine, à gauche, me tend les bras. Là, deux français concurrents sur la course s'y trouvent aussi. On échange quelques mots, je bois l'eau fraîche mais me retrouve en envie compulsive de coca quand je vois flotter les bouteilles appartenant certainement à des personnes pic niquant non loin de là....ni une ni deux, je prends une des bouteilles pour remplir ma gourde.....choquant un peu les gars de la course qui doivent me prendre pour le voleur de service. Je me dis qu'au pire, les gens de la bouteille me l'auraient proposée si je leur avais demandé.....question de vie ou de mort (?!)....à cet instant, presque !
En fait, ce n'est pas du coca mais un truc super amer, j'ai retrouvé ce que c'était ensuite sur internet, du San ....immonde !


Allé, faut repartir, je trottine et aperçois un peu plus loin Bärbel, chouette, j'approche de l'attaque de la piste de ski, c'est de bonne augure !
Ursula, Max et Harald ne sont pas loin, ils m'attendent proche du pont au Km 23. Il est temps pour moi de changer de chaussures, j'opte pour mes Ultra Raptor typées trail, meilleur maintient du pied et profil accrocheur pour la semelle, plus adaptées pour ces parties raides et caillouteuses, d'autant qu'on arrive à un moment de la course où le pied se fait moins sûr.

La pause dure 2 à 3 minutes, le temps de boire encore quelques gorgées d'eau pétillante. Par contre, je commence à sentir un vrai dégoût pour tout de qui est solide au niveau de l'alimentation.
Ursula me dit qu'elle m'accompagne sur cette partie raide, jusqu'au KM 27 environ, moment ou la parcours croise la route allant à Passo Tonale. Là, Harald prendra le relais.
Un petit kilomètre de plat et on attaque cette piste de ski. Et, oui, c'est raide ! Tantôt herbe, tantôt cailloux roulants sous les pieds, je suis heureux d'avoir mes bâtons. On doit faire gaffe aux fous roulant, les mecs en VTT, harnachés comme des guerriers, qui prennent le télésiège pour se taper des descentes de oufs, à fond les manettes.
Crédit photo Andrea Gambarini

KM 24, on croit apercevoir un point de ravitaillement sous des arbres, mais on doute, on voit des bikers VTT qui sont arrêtés là, tiens, oui, c'est bien un point de ravitaillement de notre course. Bon, je me poste devant la table qui est là....hummmm, pas vraiment d'humeur à manger moi, allé, un ptit coca, coca loca, je dis en rigolant, demi verre, chaud, comme d'hab.....bon, assez traîné, on repart.
Il aura fallu quelques mètres juste après pour que je sente comme une grosse fièvre monter en moi, des frissons, des spasmes et......un joli vomito, le coca loco qui revient, il n'a pas aimé la descente trop rapide dans mon œsophage. Ce n'est pas une bonne nouvelle, si je commence à ne plus rien assimiler, à ce stade de la course, la fin risque d'être épique.
On repart, les bâtons m'auront permis de ne pas avoir à me recroqueviller sur ce premier stop technique.
Ca grimpe et ça grimpe encore, des binômes coureurs / support commencent à revenir sur nous, de plus en plus nombreux, mon allure décline, c'est un fait, et je n'y peux rien, malgré la meilleure volonté du monde, je scotche grave !
Crédit photo Giulia Greotti

Crédit photo Giulia Greotti

Crédit photo Giulia Greotti

Crédit photo Giulia Greotti
Mais maintenant, plus question de renoncer, la perspective de bientôt arriver sur le plateau de Passo Tonale me donne l'envie, et le corps suit.

KM 26, le pente se calme, on prend pied sur le plateau, on discute beaucoup, de tout, de rien, des mecs qui sont là autour, de comment je me porte, de la suite de la course et des prévisions de temps d'arrivée éventuelle etc....
On s'attend maintenant à voir Max Harald et Bärbel d'une minute à l'autre. On se remémore l'épisode GPS de l'an dernier, la course poursuite pour retrouver Ursula qui avait là aussi le GPS que je lui avait laissé dans mon sac refilé au km30, sans moyen de lui signaler etc......
On voit bientôt la route, et, effectivement, Max qui vient vers nous en courant, ça descend pour lui !
Ca va être le moment pour Ursula de me laisser, et à Harald de reprendre le flambeau. Assistant d'un Nico. à la dérive.
A plus.......je me dis à ce moment qu'en fait, rien est encore gagné, comme je l'avais cru plus tôt, la course est encore longue, la partie la plus pentue reste encore à venir, et mes forces m'abandonnent inexorablement, sans possibilité de refaire le plein. Combien de temps vais-je pouvoir tenir comme ça ?

Passation de relais, Oon attaque, cette fois avec Harald au Km 27,3, altitude 1740m, la parcours restant à exécuter se déroule en plusieurs phases, d'abord, en longeant le plateau du col de Tonale sur son coté gauche, et remontant pour 3 km et 200m de D+, ensuite, descente courte de 2 km en revenant à hauteur de la route, puis, le dernier morceau avec 10 bornes pour 800 m de D+, avec au bout, le Passo Paradiso et ses 2585m d'altitude.
C'est en revenant sur la route que le checkpoint de passage aura lieu. Là, un toubib peut décider de te laisser passer.....ou pas, selon ce qu'il discernera de ton état de forme. Aï, me dis-je, faudra avoir belle allure !
Il est environ 18h00 et les pronostics sur le temps pour accomplir ce chemin restant vont bon train. Harald est positif, moi, je suis....dubitatif. Vais-je simplement réussir à monter là haut. Les spasmes reprennent, je m’arque boute sur mes bâtons, laissant passer l'orage, je n'ai rien à vomir, mais le corps se manifeste comme il peut et c'est très lourd à supporter. Avant ces spasmes, toujours le même ressenti de moins bien, lessivé, fièvre, spasmes, rien à vomir, plié en deux sur les bâtons, quelques minutes....et puis ça passe, je suis de nouveau « frais » et dispo. Pour reprendre le pas d'une bonne allure. Les candidats qui voient le scénario derrière, eux, continuent à monter pour me rattraper et doubler. Il en sera ainsi tous les quart d'heures environ, 20 minutes peut être, rythmant maintenant le déroulé du parcours.

J'aurais préféré qu'il le soit par autre chose, mais c'est ainsi. Je me questionne quand même sur ma place dans le « classement », à quelle profondeur du puits me trouvais-je maintenant ?
J'ai l'impression d'être le jaune d'un oeuf qu'on aurait jeté sur une vitre, il descend, inexorablement, sans pouvoir agir sur ce lent mouvement qui l'entraîne vers le bas.....pathétique!

Ces trois kilomètres n'en finissent plus, faut dire que je me traîne bien comme il faut, et à chaque bosse, on se dit, ça doit être derrière qu'on oblique, puis non, encore une bosse, puis encore une.
On finit quand même par le voir ce point stratégique, de là, on voit le cheminement clair de cette petite route qui descend pour retrouver le col.
On est tentés de courir, mais on est d'accord que vu le positionnement dans la course, il vaut mieux rester raisonnable et garder le peu de forces restantes pour le dernier morceau, rien n'est joué.
Pendant ce temps, on voit aussi le temps changer. En effet, des nuages commencent à monter et à noircir de manière assez dense les sommets derrière nous. Pour le moment, ils sont côté opposé au sommet du Passo Paradiso et ça semble malgré tout assez stable. On garde cependant un œil sur le ciel.....
La descente se fait bien, on commence à chercher l'itinéraire de visu. sur le versant opposé, on reconnaît bien les premiers kilomètres du chemin large du début.
Crédit photo Ursula Perrier

Crédit photo Ursula Perrier

Crédit photo Ursula Perrier


Vient la route du col, on longe l'arrière d'un ancien hôtel désaffecté du plus pur style architectural des année de folle urbanisation en montagne, bien lourd, bien bétonné. Le retour à une sorte de civilisation après les traversées très nature n'est pas forcément super agréable, mais le passage sera de courte durée.
Vient ensuite un parking bardé de camping cars, de l'autre coté de la route, là, à quelques centaines de mètres, le checkpoint apparaît, c'est là !
Une tente, des tee shirts de l'organisation, le sac d'Harald est vérifié, lampe frontale, vestes coupe vent, gore tex, bonnet et gants, tout est là, on peut y aller. La vérification est minutieuse, on me propose quelque chose à manger, je fais signe que ça ne passe plus....mais je dois quand même avoir une mine pas si défaite que ça...pas d'exam. Médical, et on repart donc de plus belle, boostés par ce passage symbolique, la porte du Paradiso vient de s'ouvrir, faut vite passer, on sait jamais qu'elle nous claque à la gueule !
Crédit photo Ursula Perrier

Km 32, 19h05, cette fois, ça sent quand même bien l'écurie, mais je n'en peux plus et le seul fait d'évoquer la distance et le D+ à accomplir m'épuise, tout me paraît du domaine de l'impossible. Dire comme le mental est fragile, 5 minutes avant tu te sens à nouveau inébranlable, puis, en un clic, à nouveau au fond du trou.
L'année dernière, on avait quand même mis deux heures pour rejoindre le col.....deux heures, c'est super long ! Une éternité même.
Les premiers kilomètres de ce chemin gravillonné, large, me semblent durer à l'infini. J'aimerais déjà être après le tunnel et regarder le glacier à gauche, toucher des yeux le dernier col. Ma bonne humeur me quitte aussi, tout m'irrite, je suis de moins en moins bavard, des pensées pas très positives commencent à occuper de plus en plus de place dans ma boite crânienne...il est temps que ça se termine. Le Paradiso, en train de ressembler à un court passage en enfer, ce n'est pas le souvenir que j'avais de mon passage l'année passée, mais le sport est ainsi, on ne peut jurer de rien, aucune course ne se ressemble.
Les spasmes ne s'arrêtent pas, toujours sur le même rythme, et toujours le même scénario, à chaque fois, les mecs qu'on voyaient loin derrière finissent par se rapprocher et à doubler, pendant que moi, je regarde le sol, plié sur mes bâtons, attendant que ça passe. Pas très fun le truc. Presque envie de dire « allez y les gars, aujourd'hui c'est porte ouverte ! »
Les prochains, au niveau du tunnel, ou plutôt les prochaines, deux filles, c'est le binôme Karla Oblack, la vainqueur du AutriaXtrem 2016...entre autre. On échange quelques mots, elle reste concentrée sur sa course, en train de mener pour la partie féminine de l'épreuve.
Ses pas sont sûrs et le rythme est bon.....Go Karla, Go !
Crédit photo Daniele Pezzoni 
On sort du tunnel, il reste encore environ 6 Km et 700m de dénivelée......ce tunnel marque encore un point de passage clef sur le parcours, il ouvre véritablement les portes du paradis. Le paysage change presque radicalement, comme un portail sur la haute montagne . Ca y est, le glacier, l'immense moraine à gauche sont le signe que bientôt, très bientôt, la délivrance sera pour moi. Je me mets à penser à la dernière côte, aux derniers mètres et l'émotion qui, après autant de temps passé sur cette course, sera certainement au maxi.



Petite chair de poule, gorge serrée, les dents aussi, serrées.....car en réalité, la douleur est désormais ma compagne. Elle est partout, dans mes jambes que j'ai de plus en plus de mal à ramener précisément sur les pierres du sol, mon dos, mes mains, la gorge sèche de ne pouvoir avaler la moindre goutte d'eau depuis des heures, la langue semblable à du carton, du mal à déglutir une salive épaisse, de plus en plus de mal à concentrer ma vue sur autre chose que les quelques mètres devant.....et aussi un drôle de phénomène au niveau de l'oreille interne qui me fait m'entendre comme en sourdine, amplifiant des bruits de déglutition ou de machoire mais qui me coupe des sons extérieurs. Pourtant, heureux d'être là, pourvu que le corps tienne ! Le mental, maintenant, n'est plus qu'orienté sur le but ultime, finir !
Crédit photo Daniele Pezzoni 

Le chemin se fait sentier, le gravier fait place à la pierre et la terre, la pente s'escarpe, le paysage s'ouvre de plus en plus. Le cheminement est lent, très lent, pourtant, les kilomètres finissent quand même par se dérouler, on reconnaît les passages de l'année passée, on discute quand même avec Harald. Je me dis que ça doit être dur pour lui de me seconder avec aussi peu d'allure.
Le temps commence à vraiment changer. Le ciel, jusque là plutôt clément de ce coté de la montagne, commence aussi à virer de manière inquiétante ici, au dessus de nos têtes. Pas de tonnerre pour le moment, mais un vent frais et des nuages noirs, annonciateurs de l'imminence d'un orage.
Pourvu qu'on passe avant ! Etre pris dans un orage à cet endroit pourrait être mauvais, on est plutôt exposés à cet endroit de la montagne, et la situation peut vite devenir compliquée.
Le temps passe, avec lui, le jour commence également à tomber. La lumière laisse petit à petit place à l'obscurité, le phénomène encore accéléré par la couverture nuageuse qui vient masquer prématurément les dernier rayons de soleil.
Un coup d’œil vers le haut, des passages de brouillard masquent anarchiquement les sommets alentour entamant une partie de cache cache, dans ce labyrinthe mouvant et ouaté, tantôt là, tantôt masqués. 

L'ambiance devient un peu sur réaliste, la lumière offre à ce paysage une dimension mystérieuse, sombre et lugubre mais attirante à la fois.
J'ai froid, je demande ma veste à Harald, qui, en compagnon dévoué, exécute chacun de mes caprices avec complicité. On est dans la course, à un moment où la solidité du supporter est primordiale. C'est de cette énergie que l'un communique à l'autre qui rend le binôme solide et l'amènera jusqu'au bout, comme un seul homme !
Le vent frais se fait de plus en plus présent, sans pourtant être très fort. Il nous fait prendre conscience de la fragilité des hommes face à la nature. Et, Dieu, que je me sens vulnérable. Je ne suis plus qu'une silhouette ondulante dans ce paysage gigantesque, ce paysage où tout d'un coup, il me semble avoir fait un saut dans le temps, comme téléporté près du dernier col, nous arrivons près du point de passage marquant le dernier kilomètre.

Dans la pénombre qui commence à tout envelopper, une silhouette en ombre chinoise se découpant sur un fond de brouillard campée sur un rocher à gauche crie mon prénom, « Allé Nico ! ». je crois rêver, je reconnais la voie de Roland.....mais pas son profil, en fait c'est son frangin que je finis par reconnaître en approchant, ils ont la même voix !
Je ries tout seul sur ma méprise, je lève le bras pour faire signe que je l'ai entendu. Un peu plus loin, en levant la tête, à environ 200 m à droite en hauteur, blotti sur un rocher, une petite masse sombre surmontée d'un bonnet que je connais, c'est le bonnet de Max. Sous ce bonnet....Max.
Je crie son prénom, une fois, pas de réponse, deux fois.....j'entends un petit... « Papa », c'est bien lui, qui se déplie tout à coup pour venir vers nous en courant. Le moment est très chouette, il déploie en descendant un drapeau tricolore plus grand que lui, le bleu, le blanc, le rouge qui flottent là, de manière improbable dans cet univers minéral noyé alors jusque là tout entier dans un gris uniforme, comme dé-saturé.
Crédit photo Daniele Pezzoni 

Crédit photo Daniele Pezzoni 

C'est le moment mainte fois imaginé qui est en train de se dérouler, on vit l'instant, on le savoure. Rien, plus rien, ne peu plus m'arriver. Le moment de basculer sur l'autre versant, celui du Passo Paradiso, est là, c'est maintenant !
Crédit photo Daniele Pezzoni 

Le passage dans les blocs de granit est magnifique, on aperçoit maintenant le tapis rouge de l'aire d'arrivée, le petit lac bleu métallique à gauche, et une ribambelle de monde qui attend là haut.


Crédit photo Daniele Pezzoni 
Crédit photo Ursula Perrier
Un dernier effort et nous y serons, les passages dans la caillasse en descente pour remonter les derniers hectomètres. Mon deuxième Stonebrixiaman est en train de se terminer, il n'est plus maintenant qu'à une dizaine de mètres. 









Un temps d'arrêt juste avant le tapis rouge, je me retourne vers Harald qui s'est écarté à gauche, le rejoins et tends les bras pour une accolade. Je me retourne, à droite, c'est Ursula qui est là, emmitouflée dans son gore-tex, comme c'est bon de la voir là ! Je me rapproche, on s'embrasse.....mais je me dis qu'embrasser un gars qui vient de se taper + de 17h de course ne doit pas être très fun....






Crédit photo Daniele Bua
Les bâtons dans la main gauche, je reprend le chemin de la ligne d'arrivée, ébloui par les gros halogènes postés de chaque côté de la ligne, pouce levé, j'esquisse un sourire.....c'est gagné !!!
Crédit photo Ursula Perrier

Crédit photo Ursula Perrier


Mais que c'est bon d'être là, heureux et léger, de cette légèreté de nouveau né, de celle qui te ramène au stade initial d'être humain, juste bien dans ta peau......Alors que pourtant tu viens d'en baver comme jamais, bien dans ta tête.

Une accolade au gars du staff qui lui aussi reflète une émotion palpable, Bärbel, elle aussi encapuchonnée dans le froid de cette arrivée tardive, et Francesco, qui arrive, à droite, je tombe dans ses bras, mais que c'était dur, que c'était dur ! Il me tend la doudoune de finisher, sacrée course que tu nous a pondue là Francesco, sacrée course !
Crédit photo Daniele Bua

    Avant la course - Natation - T1 - Vélo - T2 - Course à pied - Après la course - Race info.-

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